Victime collatérale de la chasse aux sorcières lancée contre la biologie totale dont elle est un des outils, la psychogénéalogie
va-t-elle retrouver du crédit en laboratoire ? Rappelons que la psychogénéalogie est une théorie développée dans les années 70 par le Pr Anne Ancelin Schützenberger
(Université de Nice) selon laquelle les événements traumatiques vécus par les ascendants d'un sujet conditionneraient ses troubles psychologiques, ses comportements étranges
et inexplicables, voir ses maladies purement somatiques. En décodage biologique, cette approche est utilisée pour débusquer les conflits subis par les aïeux d’un
patient et qui seraient la cause lointaine de son mal-être. Beaucoup de pathologies puiseraient ainsi leurs racines dans les branches de l’arbre généalogique familial.
Le stress enduré par un parent serait la source « programmante » de symptômes apparaissant parfois plusieurs générations plus tard.
Mais faut-il encore parler au conditionnel ? A notre avis non. Des chercheurs de l’Université de Boston (Etats-Unis) ont soumis de jeunes
souris à un stress chronique qui consistait à les changer fréquemment de cages et à les empêcher ainsi d’établir des relations sociales avec leurs congénères. Deux mois plus tard,
les chercheurs ont évalué le niveau d’anxiété des souris stressées et l’ont comparé à celui du groupe témoin. Sans grande surprise, ils ont constaté que les premières
présentaient une anxiété accrue et une sociabilité altérée. Les résultats publiés dans la revue Biological Psychiatry montrent aussi que les effets du
stress subi dans leur jeunesse étaient persistants et que les souris adultes demeuraient anxieuses et renfermées. Mais cette étude a surtout mis en
évidence la transmission transgénérationnelle de ce caractère acquis. En effet, l’équipe bostonienne a croisé entre eux les mâles et les femelles stressés, puis elle a testé
leurs descendants. Verdict : même quand ils ne sont pas élevés par leurs parents, les petits manifestent des troubles identiques ! Les chercheurs ont encore croisé
les animaux de la deuxième génération et observé chez la troisième les mêmes dysfonctionnements, mais seulement chez les femelles. Idem pour les arrières-petites souris,
même si leur papy ne montrait aucun signe d’anxiété visible. « Nous sommes en présence d’un mode de transmission assez inédit et
excitant, a commenté l’auteure principale, mais à ce jour nous ne pouvons pas dire quels en sont les mécanismes ». La suite des recherches le
dira. À moins qu’on ne parvienne à identifier un comportement du mâle qui réinduirait le stress à chaque génération, ce qui est peu probable, les travaux
futurs permettront de trancher entre l’explication génétique et l’hypothèse épigénétique, Pour les thérapeutes qui prennent en compte la dimension
transgénérationnelle, ça n’a guère d’importance. Il leur suffit de savoir que les secrets de famille voyagent dans le temps inconsciemment et que tout individu
trimballe clandestinement les valises émotionnelles de ses ancêtres. Si le canal de transmission reste mystérieux, celle-ci a bel et bien lieu et
cela est désormais démontré par un modèle animal. Dès lors que la science expérimentale confirme les intuitions de la psychosomatique, on aimerait que les
détracteurs de la seconde baissent peu un le ton. Et qu’ils laissent travailler en paix tous les psys qui osent s’aventurer dans la généalogie.
Yves Rasir
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